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Ruben Um Nyobe au Tribunal de l'Histoire

Dernière mise à jour : 11 sept. 2022

Chaque 13 Septembre, nous nous rappelons au souvenir de Ruben Um Nyobe, père de l’Indépendance du Cameroun et surtout Père de la Nation Camerounaise.


Malgré le marasme ambiant, malgré les échafaudages de la postcolonie, malgré ses lumières qui éblouissent plus qu'elles n'éclairent, malgré le silence qui noie dans l’oubli la voix des pères et des mères de la nation…

Malgré l’épreuve de l’Indépendance au Cameroun et ailleurs en Afrique, qui apparait pour les jeunes et les moins jeunes comme un fait divers, comme une période dont les enjeux, l’enchaînement et les conséquences ne valent plus le détour : « Il faut oublier et avancer » disent certains, « ce sont les choses du passé » disent d’autres…

Malgré tout cela, le souvenir de Ruben Um Nyobè laisse entendre que l’Indépendance, comme la liberté par ailleurs, est une quête permanente. Elle n’est jamais achevée et doit sans cesse être réévaluée au gré des circonstances et des enjeux.


Bâtir une Nation prospère n’est pas la tâche d’un seul homme ni d’une seule vie. Il s’agit d’un long chemin sans véritable ligne d’arrivée et sans point d’achèvement. D’autant plus que le point est considéré en géométrie comme une donnée sans dimension et saisissable seulement par son positionnement dans l’espace et le temps. Ce Temps qui donnera raison à Um Nyobè.


Qui était Um Nyobè ? Que voulait-il et pourquoi ? Que reste-t-il de ces années où pour la première fois depuis plusieurs siècles, les populations de ce coin de terre entrevoyaient vivre ensemble en fixant elles-mêmes les règles du jeu ?

Le livre Um Nyobè ou l’Invention de la Nation Camerounaise rassemble et analyse des éléments sur la vie et l’œuvre de Ruben Um Nyobè, personnage incontournable dans l’histoire du Cameroun. Il met également en perspective les voies et moyens nécessaires à l’avènement et à la consolidation d’une nation apte à répondre aux impératifs de son temps.

Le Projet politique de Um Nyobè peut être résumé en ces mots qu’il prononça à Kumba en décembre 1951 :

«Toute notre action s’inscrit dans ce résumé simple de ce que veut notre mouvement. Pour grouper et unir les populations, nous avons fait appel aux Camerounais hommes et femmes sans considération de classe ni de religion, sans considération même d’opinion politique, mais à la seule condition d’accepter notre programme qui est anticolonialiste.

«Pour accélérer l’évolution des populations, l’UPC demande la multiplication des écoles et des centres d’apprentissage. Elle demande le développement de l’enseignement général et de l’enseignement technique.

«Pour l’élévation du standard de vie des populations, nous luttons pour l’abolition effective du travail forcé, pour la suppression des méthodes racistes dans l’agriculture et le commerce ainsi que dans toutes les autres branches de l’activité économique. Nous luttons notamment contre la politique d’expropriation qui consiste pour l’administration à s’emparer des terres sous prétexte qu’elles sont « vacantes et sans maître ».


Que faut-il dire de plus pour comprendre le Cameroun d’aujourd’hui ? Que faut-il dire de plus pour chercher des solutions au Cameroun d’aujourd’hui ?


Au Chapitre 5, Um Nyobè par les Autres, du livre susmentionné, l’auteur laisse parler ceux et celles qui ont connu Um Nyobè ou alors qui ont étudié sa pensée et son action politiques. Par sa rectitude et une vie sans fanfare consacrée au bien-être général, Ruben Um Nyobè aura validé son ticket d’accès à l’éternité. Au tribunal de l’histoire et de la vie, les témoignages qui suivent font l’unanimité auprès des juges :


Samuel Mbenje EKWE:

« Um Nyobè était un homme très bon. Ni très grand ni très petit, mais moyen. Des gens comme Um Nyobè ne sont pas légion sur cette terre. C'était un homme d'une intelligence phénoménale ; car lorsque tu lui présentais un problème quelque difficile fût-il, avant que tu ne termines ton exposé, lui, Um, avait déjà la réponse, et celle-ci était toujours la plus juste et la plus appropriée. Ce n'était pas un violent ni un arrogant. Ces attributs-là ne lui vont pas du tout. Il était plutôt calme, réfléchi et quelque peu mystique et même mystérieux. »[1]


Gaston DONNAT :

« Si l’UPC n’avait pas été persécutée, traquée militairement par l’Armée française, peut-être la destinée du Cameroun ne serait pas celle qu’il connaît aujourd’hui […] Je suis persuadé qu’un jour viendra où le Cameroun reprendra le bon chemin qui avait été tracé par Um Nyobè Ruben et ses compagnons…».[2]


Achille MBEMBE :

« Une des dimensions qui rendent ce personnage sympathique aux yeux des chercheurs et des analystes, c’est sa tentative d’articuler intellectuellement un langage et un savoir entièrement tendus vers la réforme de la société coloniale. Ce personnage-charnière est incontournable dans l’histoire du Cameroun. De par sa stature symbolique, il conclut la période « proto-nationaliste » dominée par les figures de Douala Manga Bell ou Martin Paul Samba dont il épouse par ailleurs la même fin tragique. Sur le registre intellectuel, il rejoint l’inventeur de l’écriture, l’architecte et l’ethnologue du Bamun, le Sultan Njoya. Mais par-dessus tout, il ouvre une période politique et culturelle nouvelle au Cameroun : celle de l’invention d’une identité nationale ».[3]


Cheikh Anta DIOP :

« C’était en février 1952, alors que j’étais Secrétaire Général des Etudiants du R.D.A. que nous avons posé le problème de l’indépendance politique du continent noir et celui de la création d’un futur État Fédéral. Cet article qui n’était alors que le résumé de « Nations Nègres » en cours de publication, traitait des aspects politique, linguistique, historique, social, etc. de la question. »

Il est certain qu’à l’époque, les députés malgaches et le leader camerounais, Ruben Um Nyobè, mis à part, aucun homme politique africain noir francophone n’osait encore parler d’indépendance, de culture, oui de culture et de Nations africaines. Les déclarations qui ont cours aujourd’hui, à ce sujet, frisent l’imposture et sont, pour le moins, des contre-vérités flagrantes. »[4]


Marthe EKEMEYONG MOUMIÉ :

« J’ai eu plusieurs occasions de voir, d’observer et de connaître Um Nyobè. Cet homme extraordinaire, d’un caractère qui n’était point commun, avait une démarche très spéciale. C’était un homme équilibré, placide et serein. Il maîtrisait toutes les situations nouvelles et réagissait souvent par cette petite phrase : « Camarades, j’ai entendu !». Lorsqu’on venait l’informer des persécutions perpétrées par les colons français dont ses camarades du parti étaient victimes, dans une ville, un village ou un quartier quelconque, il semblait toujours distrait. Et après avoir suivi le récit, sans rien dire, ni en encourageant les rapporteurs, ni en doutant de la véracité de leurs dires, il réagissait par cette même petite phrase : « Camarade, j’ai entendu ». Alors, il se levait pour s’en aller. Il était inutile de courir après Um Nyobè pour le rappeler ou lui rapporter une autre information. »[5]


Abel EYINGA :

« Um était le même homme dans son village, à Eséka, à Douala, à Kumba, à Paris, à New-York, dans le maquis, en somme, partout et en tout temps. D’où son incontestable popularité. D’où son authentique leadership et le respect qu’il inspirait même à ses adversaires. On ne se dévoue pas pour un chef dont on sait que, dès la première épreuve, il va baisser les bras, se rendre à l’ennemi ou changer de personnage.

C’est une évidence que l’UPC d’aujourd’hui, l’UPC des héritiers, a besoin d’hommes et de femmes de cette trempe. Et au-delà de l’UPC, le Cameroun tout entier. »[6]